La Cour suprรชme du Canada a statuรฉ en faveur des chauffeurs d’Uber qui ont intentรฉ un recours collectif contre la multinationale. La dรฉcision de la Cour suprรชme rendue le 26 juin clarifie de nombreux aspects du droit des contrats, notamment la notion juridique de common law de laย doctrine de lโiniquitรฉย dit ยซ unconscionability ยป, ou en franรงais, contrat inรฉquitable.
Si vous vous demandez si votre contrat de travail, ou tout autre contrat que vous avez conclu, est รฉquitable ou valable devant un tribunal, la dรฉcision de la Cour suprรชme du Canada concernant le recours collectif intentรฉ par les chauffeurs d’Uber รฉclaircira probablement ces questions. Cette affaire, qui รฉtablit un prรฉcรฉdent, devrait modifier la position des tribunaux canadiens ร l’รฉgard de certains contrats, ouvrant la voie ร des recours collectifs plus fructueux en matiรจre d’emploi et de protection des consommateurs au Canada.
La dรฉcision de la Cour suprรชme du Canada, ร huit contre un, a jugรฉ qu’une clause obligeant les chauffeurs d’Uber ร rรฉgler les litiges avec la multinationale par voie d’arbitrage aux Pays-Bas รฉtait inรฉquitable et donc nulle, et qu’une demande visant ร autoriser un recours collectif contre la sociรฉtรฉ pouvait รชtre introduite en Ontario.
ร la suite de la dรฉcision de la Cour suprรชme, la Cour supรฉrieure de l’Ontario pourrait examiner le recours collectif intentรฉ contre Uber, qui prรฉtend que les chauffeurs d’Uber bรฉnรฉficient des droits confรฉrรฉs aux employรฉs en vertu de la Loi sur les normes d’emploi de cette province. Rรฉcemment, un tribunal californien a statuรฉ que les chauffeurs d’Uber et Lyft sont des employรฉs.
Heller c. Uber : Que s’est-il passรฉ ?
David Heller, un chauffeur ontarien de la sociรฉtรฉ Uber et UberEATS, a intentรฉ un recours collectif de 400 millions de dollars au nom de tous les chauffeurs de la sociรฉtรฉ Uber dans la province. Outre les dommages-intรฉrรชts, il a demandรฉ une dรฉclaration selon laquelle les conducteurs d’Uber sont des employรฉs qui ont droit ร des avantages, tels que le salaire minimum et le paiement des heures supplรฉmentaires.
Uber fonctionne en accordant une licence pour une application aux chauffeurs, lesquels tรฉlรฉchargent l’application et l’utilisent pour ouvrir un compte chez Uber afin de devenir chauffeur. En retour, les consommateurs demandent et acceptent les services des chauffeurs par l’intermรฉdiaire de l’application, grรขce ร laquelle ils paient et รฉvaluent les performances des chauffeurs. Uber facture ensuite aux chauffeurs une redevance en รฉchange de la fourniture de l’application.
Uber est en activitรฉ en Ontario depuis fรฉvrier 2012. En vertu de la convention de service Uber, un conducteur se voit accorder un permis pour utiliser l’application et accรฉder au service de transport, accepte de payer des frais de service et reconnaรฎt que la convention crรฉe une relation commerciale juridique et directe. Toutefois, le contrat stipule รฉgalement que les parties ne sont pas liรฉes par une relation de travail. Pour accepter le contrat, qui compte environ 14 pages, les chauffeurs cliquent deux fois sur un lien hypertexte ร l’รฉcran de l’application, en indiquant ยซ J’accepte ยป. Le contrat de service Uber comprend รฉgalement une clause d’arbitrage, qui exige que les questions juridiques soient entendues dans le cadre d’un arbitrage aux Pays-Bas.
David a commencรฉ ร travailler chez Uber en 2016 en tant que chauffeur d’UberEATS. Il gagnait environ 20 800 ร 31 200 $ par an, avant impรดts et frais, pour une semaine de travail de 40 ร 50 heures.
En janvier 2017, David a entamรฉ le recours collectif des chauffeurs d’Uber au Canada, mais avant que le recours collectif ne soit autorisรฉ par les tribunaux, Uber a demandรฉ une ordonnance de suspension du procรจs en faveur de l’arbitrage aux Pays-Bas. La Cour supรฉrieure de l’Ontario a acceptรฉ la requรชte d’Uber sur la base de la clause d’arbitrage. La Cour a รฉgalement rejetรฉ l’argument de David selon lequel la clause d’arbitrage รฉtait abusive.
David a fait appel de la dรฉcision de la Cour supรฉrieure devant la Cour d’appel de l’Ontario. Dans une dรฉcision unanime, la Cour d’appel a annulรฉ le sursis, et Uber a fait appel devant la Cour suprรชme du Canada.
Qu’est-ce qu’un contrat inรฉquitable ?
La doctrine de lโiniquitรฉ est bien รฉtablie dans la common law canadienne, et est gรฉnรฉralement dรฉfinie comme le fait de tirer indรปment parti d’une inรฉgalitรฉ de pouvoir de nรฉgociation. Selon la Cour suprรชme dans l’affaire Uber, la doctrine de lโiniquitรฉ est une exception รฉquitable ร la proposition selon laquelle les contrats, y compris les conventions d’arbitrage, doivent toujours รชtre appliquรฉs.
Un contrat inรฉquitable est gรฉnรฉralement si unilatรฉral qu’il est prรฉjudiciable ou injuste pour l’une des parties. Il ne laisse gรฉnรฉralement ร l’une des parties aucun choix rรฉel et significatif en raison des inรฉgalitรฉs importantes de pouvoir de nรฉgociation entre les parties.
Les contrats de consommation et de travail peuvent souvent entrer dans la catรฉgorie des ยซ contrats inรฉquitables ยปย pour diverses raisons. Par exemple, un contrat de consommation peut รชtre abusif lorsque l’une des parties est un concessionnaire expรฉrimentรฉ dans un type d’activitรฉ, comme une concession automobile, tandis que l’autre partie est un consommateur ordinaire.
Comme c’est souvent le cas, le concessionnaire peut exiger du consommateur qu’il signe un contrat type. Les clauses longues et complexes qui font appel ร un langage technique et juridique sont souvent enfouies dans de tels contrats. La plupart des consommateurs sans formation juridique ne comprendraient pas de telles clauses. Un autre exemple est celui du commerรงant qui utilise de trรจs petits caractรจres et intรจgre la clause d’une maniรจre qui trompe dรฉlibรฉrรฉment les consommateurs en les incitant ร signer des clauses abusives.
Dans ce cas, le contrat de consommation peut รชtre dรฉclarรฉ inรฉquitable devant un tribunal, en raison de l’inรฉgalitรฉ du pouvoir de nรฉgociation entre les parties et du fait que le commerรงant a utilisรฉ ses connaissances et son expรฉrience pour profiter du consommateur. Lorsqu’un tribunal juge un contrat abusif ou inรฉquitable, le contrat est dรฉclarรฉ nul et sans force exรฉcutoire.
Des contrats Uber inรฉquitables
Dans le recours collectif intentรฉ par les chauffeurs d’Uber, certains des ingrรฉdients d’un contrat inรฉquitable รฉtaient prรฉsents : la clause d’arbitrage faisait partie d’un contrat type de 14 pages qui n’avait pas รฉtรฉ nรฉgociรฉ. En outre, il y avait une inรฉgalitรฉ รฉvidente dans le pouvoir de nรฉgociation entre les chauffeurs et Uber.
Pour dรฉterminer si le contrat entre Uber et ses chauffeurs รฉtait inรฉquitable, la Cour suprรชme a utilisรฉ un test juridique.
Selon le test traditionnel, il faut la prรฉsence des รฉlรฉments suivants pour qu’un contrat soit considรฉrรฉ comme inรฉquitable :
- une entente manifestement inรฉquitable et imprudence ;
- une victime qui nโa pas eu accรจs ร des conseils juridiques indรฉpendants ou ร dโautres conseils appropriรฉs ;
- un dรฉsรฉquilibre flagrant dans le pouvoir de nรฉgociation causรฉ par la mรฉconnaissance des affaires de la victime, son analphabรฉtisme, son ignorance du jargon de lโentente, sa cรฉcitรฉ, sa surditรฉ, sa maladie, sa sรฉnilitรฉ, ou une incapacitรฉ similaire ; et
- la conscience par lโautre partie quโelle tire avantage de cette vulnรฉrabilitรฉ.
Toutefois, la Cour a abandonnรฉ certaines de ses exigences, faรงonnant ainsi la maniรจre dont on dรฉterminera le caractรจre abusif des contrats dans les prochains arrรชts. Au lieu d’utiliser le test traditionnel ร quatre volets, la Cour suprรชme a rejetรฉ cette approche : ยซ Ce test ร quatre volets รฉlรจverait le seuil traditionnel appliquรฉ en matiรจre dโiniquitรฉ et il rรฉduirait indรปment la doctrine, la rendant plus formaliste et moins axรฉe sur lโรฉquitรฉ. ยป
Au contraire, la Cour suprรชme a d’abord dรฉterminรฉ s’il y avait un dรฉsรฉquilibre du pouvoir de nรฉgociation. Lorsqu’une partie n’a pas le choix ou ne comprend pas les termes du contrat qu’elle signe, cela la met en position de faiblesse et permet ร la partie dominante d’avoir un avantage.
Par exemple, les consommateurs ou les employรฉs potentiels signent souvent des contrats unilatรฉraux et inรฉquitables ร leur insu. De tels contrats peuvent apparaรฎtre sous la forme d’un contrat de service ou de consommation en ligne, oรน le consommateur doit cliquer sur ยซ Accepter les conditions ยปย afin de bรฉnรฉficier du service ou d’รชtre employรฉ, comme ce fut le cas dans le recours collectif contre Uber. Les consommateurs et les employรฉs potentiels ne lisent souvent pas attentivement ces contrats, d’autant plus qu’ils sont gรฉnรฉralement longs et complexes.
La deuxiรจme partie de l’analyse de la Cour consistait ร dรฉterminer si l’accord entre Uber et les chauffeurs รฉtait imprudent. Selon la Cour suprรชme, ยซ un marchรฉ est imprudent sโil avantage indรปment la partie la plus forte ou dรฉsavantage indรปment la plus vulnรฉrable ยป. Un marchรฉ imprudent est mesurรฉ au moment oรน le contrat est formรฉ et est รฉvaluรฉ en fonction du contexte. En outre, ce critรจre vise ร dรฉterminer si la partie la plus forte a รฉtรฉ indรปment enrichie et s’il existe un dรฉsรฉquilibre du pouvoir de nรฉgociation.
La Cour suprรชme a expliquรฉ que cette partie de l’analyse prenait plusieurs formes. ยซ Pour une personne qui se retrouve dans des circonstances dรฉsespรฉrรฉes, par exemple, pratiquement nโimporte quelle entente reprรฉsentera une amรฉlioration par rapport au status quo. Dans ces circonstances, au moment dโรฉvaluer lโimprudence, il faut se demander avant tout si la partie la plus forte a รฉtรฉ indรปment enrichie. Cela peut survenir lorsque le prix de biens ou de services sโรฉcarte considรฉrablement du prix habituel du marchรฉ. ยป
Dans les cas oรน la partie la plus faible, comme un consommateur ou un employรฉ, n’a pas compris ou apprรฉciรฉ la signification de termes contractuels importants, comme une convention d’arbitrage, les tribunaux se concentrent sur la question de savoir si la partie la plus faible a รฉtรฉ indรปment dรฉsavantagรฉe par les termes qu’elle n’a pas compris.
Consรฉquences pour les employรฉs et les consommateurs
Le recours collectif des chauffeurs d’Uber a de nombreuses implications pour les employรฉs, notamment en termes de contrats de travail. Cette affaire prรฉcise que les employeurs ne peuvent pas inclure de clauses abusives dans leurs contrats, dans le but de limiter les droits d’un employรฉ. La Cour suprรชme a reconnu qu’il existe un dรฉsรฉquilibre du pouvoir de nรฉgociation entre les employรฉs et les employeurs, et a รฉtabli un prรฉcรฉdent juridique pour protรฉger les employรฉs contre toute limitation de leurs droits au profit de l’employeur. Il est important de noter que les clauses abusives peuvent s’รฉtendre ร toute violation de la Loi sur les normes d’emploi ou de la lรฉgislation provinciale applicable.
Une autre incidence importante de l’arrรชt de la Cour suprรชme est que le dรฉsรฉquilibre du pouvoir de nรฉgociation est non seulement reconnu au dรฉbut de la relation de travail, mais aussi tout au long de celle-ci.
En ce qui concerne les consommateurs, le recours collectif des chauffeurs d’Uber reprรฉsente un prรฉcรฉdent pour des tests moins rigoureux en matiรจre de la doctrine de lโiniquitรฉ. La Cour suprรชme a soulignรฉ que le seuil traditionnel pour dรฉterminer la prรฉsence d’un contrat abusif รฉtait trop strict, et s’est concentrรฉe sur la position des deux parties et le contexte entourant le contrat, ce qui peut profiter aux consommateurs qui ont conclu des contrats inรฉquitables.
Que pensez-vous de la dรฉcision de la Cour suprรชme concernant le recours collectif intentรฉ par les chauffeurs d’Uber ? Faites-nous part de votre avis dans les commentaires ci-dessous !
David et les membres du groupe sont reprรฉsentรฉs par Me Lior Samfiru.
Lโarrรชt de la Cour suprรชme concernant le recours collectif des chauffeurs dโUber est : Uber Technologies Inc. c. Heller, No. de dossier 38534, devant la Cour suprรชme du Canada.
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