Miriam Pinkesz  |  June 10, 2020

Category: Fr-Civil Rights

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Solitary confinement prison cell

En mars 2020, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé les décisions des tribunaux inférieurs concernant deux recours collectifs en matière de droits de la personne selon lesquelles les détenus fédéraux devraient se voir accorder 40 millions de dollars de dommages-intérêts pour le temps passé en isolement cellulaire.

La décision de la Cour est révolutionnaire ; elle fusionne les recours collectifs et les demandes fondées sur la Charte, et définit le cadre des dommages-intérêts prévus par la Charte. En outre, l’affaire met en évidence à quel point les populations vulnérables, telles que les détenus, peuvent faire entendre leur voix. La décision de la Cour d’appel crée un précédent jurisprudentiel, ouvrant la voie à de futures recours collectifs fondés sur la Charte.

Le contexte

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario a examiné deux recours collectifs contre le gouvernement du Canada pour violation des droits de la personne. La première affaire, Brazeau c. Canada, réclamait des dommages-intérêts en vertu de la Charte au nom de détenus souffrant de troubles mentaux placés en isolement cellulaire depuis 1992. Le second recours collectif, Reddock c. Canada, demandait de même pour les prisonniers placés en isolement cellulaire pendant plus de 15 jours depuis 1992.

Les recours collectifs en matière d’isolement cellulaire constituaient une accusation clé contre la Loi sur les services correctionnels et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), en vigueur depuis 1992. La LSCMLC permet la mise à l’isolement préventif des détenus dans les établissements pénitentiaires fédéraux. L’isolement préventif consiste à isoler un détenu pour assurer la sécurité des occupants du pénitencier, et constitue une forme d’isolement cellulaire. La loi permet également au personnel de placer les détenus en « isolement disciplinaire » s’ils commettent des infractions graves en prison.

Dans l’affaire Brazeau, le recours collectif a demandé des dommages-intérêts en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que des dommages-intérêts punitifs, au nom des membres du recours collectif, comprenant des détenus souffrant de maladies mentales et qui ont été placés en isolement disciplinaire dans des pénitenciers fédéraux de 1992 au présent.

Il est important de noter que les réclamations en vertu de la Charte ne peuvent être faites que contre des actions du gouvernement fédéral ou provincial pour violation des libertés fondamentales, des droits démocratiques, des droits de circulation, des garanties juridiques, des droits à l’égalité et des droits linguistiques. Dans les affaires Brazeau et Reddock, les demandeurs ont allégué des violations des droits à l’égalité.

Parmi les nombreuses questions abordées devant les tribunaux, on peut citer :

  • La question de savoir si le gouvernement a violé les droits des membres du groupe en vertu de l’article 7 de la Charte ;
  • Si le gouvernement a violé les droits des membres du groupe en vertu de l’article 12 de la Charte ;
  • Si les violations de la Charte ont été justifiées par l’article 1 de la Charte ; et
  • Si des dommages-intérêts étaient disponibles pour le groupe en vertu de l’article 24 de la Charte.

L’article 7 et l’isolement cellulaire

L’article 7 de la Charte prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

En première instance, le juge Perell a estimé que la LSCMLC violait l’article 7 de la Charte en ne prévoyant pas de procédure d’examen adéquate pour les placements en isolement préventif. De plus, le juge Perell a déterminé que les preuves soutenaient une violation de l’article 7 de la Charte en ce qui concerne les personnes qui ont été placées involontairement en isolement préventif pendant plus de 30 jours. Il en a été de même pour les personnes qui ont été placées volontairement en isolement préventif pendant plus de 60 jours.

En outre, les violations des droits de la personne n’étaient pas justifiées en vertu de l’article 1, qui permet les violations de la Charte dans les limites raisonnables prescrites par la loi.

Selon les preuves, le juge Perell a conclu que « dans la pratique et l’expérience, il n’y a pas non plus de différence significative entre l’isolement préventif et l’isolement disciplinaire ». La Cour a qualifié la LSCMLC comme étant trop générale et « grossièrement disproportionnée » car elle prévoit l’isolement cellulaire pour les détenus souffrant de maladies mentales ainsi que pour les détenus ayant commis des infractions graves pendant leur incarcération.

L’article 12 et l’isolement cellulaire

L’article 12 de la Charte prévoit que toute personne a le droit de ne pas être soumise à des peines ou traitements cruels et inusités.

Inmate in solitary confinementEn première instance, le tribunal a conclu que les détenus souffrant de troubles mentaux placés en isolement préventif pendant plus de 30 jours ou placés volontairement en isolement préventif pendant plus de 60 jours étaient soumis à des peines cruelles et inhabituelles.

À peine deux jours après la décision du juge Perell, la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcée dans l’affaire Corporation of the Canadian Civil Liberties Association v. Canada (Attorney General) en invalidant certaines dispositions de la LSCMLC et en statuant que l’isolement préventif pendant plus de 15 jours consécutifs constitue une peine cruelle et inhabituelle. Cette décision sera examinée ultérieurement dans le cadre de l’appel Brazeau et Reddock.

Dommages-intérêts

Le gouvernement a fait valoir que les membres du groupe ne devraient pas se voir accorder de dommages-intérêts en tant que réparation pour des violations des droits de la personne en vertu de l’article 24(1) de la Charte. Toutefois, le juge Perell a estimé que dans cette affaire, des dommages-intérêts à l’ensemble du groupe étaient justifiables, sur la base du besoin de justification et de dissuasion.

Le juge Perell a quantifié les dommages à 10 000 dollars pour chacun des 2 000 membres du groupe, soit un total de 20 millions de dollars.

Dans l’affaire Reddock, la Cour a accordé des dommages-intérêts en vertu de la Charte et des dommages-intérêts de base pour négligence systémique s’élevant à 20 millions de dollars.

En juin 2019, le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, a reçu la sanction royale. La nouvelle législation remplace les articles 31 à 37 de la LSCMLC et introduit un système d’unités d’intervention structurées qui offrent aux détenus isolés quatre heures par jour hors de leur cellule et au moins deux heures de contact humain significatif. Les unités d’intervention structurées remplacent l’isolement préventif.

La Cour d’appel se prononce sur les dommages-intérêts prévus par la Charte

En mars dernier, la Cour d’appel a confirmé les jugements des recours collectifs Brazeau et Reddock. La Cour s’est également penchée sur une autre question clé, établissant un précédent jurisprudentiel pour les recours collectifs à venir en vertu de la Charte. La question centrale de l’appel concernait la disponibilité des dommages-intérêts pour les violations de la Charte. Cette question est particulièrement importante pour les membres de groupes potentiels ou les demandeurs individuels dans les affaires relatives à la Charte, car elle définit les cas où des dommages-intérêts pourraient être accordés aux demandeurs.

La Cour a souligné que, selon la jurisprudence, les dommages-intérêts sont une « réparation appropriée et juste », lorsque :

  • Ils font valoir de manière significative les droits et libertés des demandeurs ;
  • Ils sont légitimes dans le cadre de la démocratie constitutionnelle du Canada ;
  • Ils sont un recours judiciaire qui revendique le droit tout en invoquant la fonction et les pouvoirs d’un tribunal ; et
  • Ils sont équitables pour la partie contre laquelle l’ordonnance est rendue.

Selon ce cadre, les cas portant sur des violations de la Charte peuvent donner lieu à des dommages-intérêts, pour autant qu’ils soient équitables et légitimes et qu’ils permettent de faire valoir les droits et libertés enfreints.

Cependant, ce cadre n’est pas le tout en termes de disponibilité des dommages-intérêts prévus par la Charte. La Cour d’appel a souligné que l’une des questions soulevées par le gouvernement est centrale pour déterminer si les dommages sont justifiés, et est « la question qui se trouve au cœur de cette affaire ».

La Cour fait ici référence à la question de la « bonne gouvernance », à savoir dans quelle mesure les dommages-intérêts prévus par la Charte dissuaderaient les agents de l’État de faire ce qui est nécessaire pour une gouvernance efficace. Lorsque la « bonne gouvernance » est soulevée par le gouvernement, les tribunaux n’autoriseront les dommages-intérêts que « à moins que la conduite de l’État n’atteigne un seuil de gravité minimum ». Cela signifie que, dans notre cas, l’imposition d’un isolement préventif ou d’un isolement cellulaire doit répondre à un seuil minimum de gravité. Lorsque le seuil minimum de gravité n’est pas atteint, le gouvernement peut invoquer l’immunité sous prétexte de bonne gouvernance.

La Cour d’appel a estimé que le seuil minimum de gravité était atteint, car l’isolement préventif d’une durée indéterminée constitue « un mépris flagrant des droits du requérant en vertu de la Charte ».

La Cour a insisté sur les décennies d’appels à la révision de l’isolement cellulaire des détenus atteints de maladie mentale au Canada. À l’échelle internationale, la Cour d’appel a cité le plafond de 15 jours pour l’isolement cellulaire comme une norme internationale codifiée dans l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies (les Règles Nelson Mandela), en 2015. La Cour a en outre attesté qu’en droit international, la nécessité de mettre fin à l’isolement cellulaire pour les prisonniers souffrant de maladies mentales est de plus en plus reconnue en raison de préoccupations liées aux droits de la personne, et de limiter strictement son utilisation pour tous les prisonniers depuis 30 ans.

La Cour d’appel a conclu sa décision en déclarant que les violations de la Charte en question « ont causé un préjudice grave à des personnes très vulnérables et la conduite de l’État a été condamnée comme étant cruelle, excessive, odieuse et intolérable ».

Pourquoi est-ce important ?

Les décisions de la première instance et de la Cour d’appel font date en matière de recours collectifs sur les droits de la personne. Elles confirment toutes deux que les recours collectifs peuvent se dérouler parallèlement aux contestations fondées sur la Charte. En outre, les deux décisions soulignent que les tribunaux peuvent trancher des questions complexes liées à la Charte et accorder des dommages-intérêts dans le cadre de recours collectifs alléguant des violations de la Charte. Par conséquent, ces décisions réunissent les objectifs politiques des recours collectifs et des litiges d’intérêt public fondés sur la Charte.

Brazeau et Reddock ont également prédit l’avenir des recours collectifs des détenus. Peu après que la décision de la Cour d’appel ait été rendue, les détenus fédéraux ont entamé des recours collectifs contre le gouvernement fédéral pour violation des droits de la Charte, alléguant que le Service correctionnel Canada n’avait pas réussi à atténuer les risques liés à la COVID-19 dans les prisons. Nous verrons avec le temps si des dommages-intérêts seront accordés en vertu de la Charte dans ces affaires et si le nouveau précédent jurisprudentiel de la Cour d’appel sera pris en considération.

Vos droits constitutionnels ont-ils été violés par une organisation fédérale ? Pensez-vous que des dommages-intérêts devraient être accordés pour de telles violations ? Faites-nous part de vos commentaires dans la rubrique « Commentaires » ci-dessous !

[legal_notice_french]

One thought on Une demande de recours collectif sur les droits de la personne dénonce l’isolement cellulaire

  1. Mario Sanschagrin says:

    Merci, pour toutes divulgation libre sur internet.
    Je fais partie de ceux qui ont été jeté au cachot pour plus de 15 jours et j’en ai souffert et encore aujourd’hui je me réveille toutes les nuits me croyant encore en prison et pourtant je suis en liberté conditionnelle depuis 18 novembre 2014.

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